08 juillet 2006

Youssou et les autres !

Le Festival international Nuits d'Afrique fête (déjà!) son vingtième anniversaire en recevant Youssou N'Dour, qui vient parrainer l'événement pour la deuxième fois

Montréal 1986: sous l'impulsion de Touré Lamine, une petite équipe s'affaire à créer le premier événement d'envergure consacré à la musique africaine et à sa diaspora. La manière brouillonne et l'âme à l'espérance. Les temps sont propices. Depuis quelques années, des musiciens immigrants, jusque-là inconnus, commencent à émerger, sortent de leurs communautés et, pour la première fois, des petites salles de spectacles apparaissent pour eux, çà et là au centre-ville.

Déjà ouvert, le club Balattou servira de point d'ancrage. Le Brésilien Paulo Ramos vient d'arriver. Lorraine Klaasen retrouve ses muses africaines, après une période r&b. Pendant ce temps, le festival Womad, que Peter Gabriel a implanté en Angleterre, se développe avec une étonnante rapidité. À Paris, la déferlante africaine fait mouche. Youssou N'Dour y rencontre Gabriel : un point tournant qui permet à celui qui deviendra le chanteur africain le plus important du siècle d'opérer le plus grand virage de sa carrière, menant à l'envol planétaire, avant la célèbre tournée Human Rights Now ! d'Amnistie internationale. Aujourd'hui, le grand chantre d'origine toucouleur parraine pour la deuxième fois le FINA, devenu dans son créneau, après deux décennies, l'événement le plus durable en Amérique du Nord. «Je crois que Montréal a toujours appuyé la musique africaine, dira Youssou en entrevue. Être associé à cette organisation représente certes un honneur pour moi.»

Comme dans la rue

Très charismatique, figure de proue de la world music, homme d'affaires prospère, humaniste accompli, instigateur l'an dernier du Roll Back Malaria Concert, le plus important rassemblement musical jamais réalisé en Afrique, qu'il a conçu pour sensibiliser les gens aux ravages du paludisme, Youssou est acclamé au Sénégal au même titre que Leopold Sedar Senghor, le président-poète fondateur du pays dont on célèbre cette année le centenaire. Profitant d'une telle renommée, le chanteur à message pourrait-il être tenté par la politique ? «Si j'étais président, le peuple mangerait des pierres», avait-il déjà déclaré.

Pour les Sénégalais, «You» demeure d'abord la voix de la médina dakaroise. «À la radio, on entendait de la musique moderne. Mais le soir venu, il y avait les manifestations avec les tams tams et les autres instruments traditionnels. Chacun pouvait alors prendre la parole, chanter et rapper. Lorsque l'on voulait pratiquer notre musique, seules les percussions nous étaient accessibles. Le jour, on écoutait Fela ou Manu Dibango et au crépuscule, on essayait de reproduire leurs chansons à grands coups de tambours. C'était un phénomène de rue.»

De là, le chanteur à l'organe haut perché et au registre étendu sur quatre octaves tirera sa première inspiration. Le mbalax, encore inconnu à l'extérieur, s'empare de la fête. Au rythme des tambours sabars, les gens se regroupent spontanément pour former de grands cercles propices aux déhanchements les plus exubérants. Youssou révolutionnera le genre et le transportera dans les boîtes de nuit. «J'ai introduit la lutherie moderne et donné à chaque instrument le rôle qui revenait à chacune des percussions. Comme on le faisait dans la rue.» Le tama occupe également une place prépondérante au sein de sa musique. «Lorsque je chante et que je l'entends, c'est une voix et non un tambour qui me répond

Cela permet de comprendre la trajectoire de celui qui fusionnera son art, sans vergogne, avec la pop d'outre-mer, quitte à se méfier aussi bien de ceux qui le trouvent trop occidentalisé que de ceux qui le veulent complètement racine. Entre Seven Seconds, pièce extrêmement commerciale qui lui a permis d'atteindre les sommets du palmarès avec Neneh Cherry, et Egypt, plus récent album, célébrant les saints et les sages de l'islam dans un climat de recueillement, rapprochant les sensibilités wolofs et égyptiennes, un monde de contradictions semblent planer. Mais l'auteur défend sa direction artistique. «Je veux que tous mes disques soient différents les uns des autres. Et le concert de Montréal s'éloignera de Egypt, qui était une parenthèse.»

Tous allumés !

Ce concert, il le donnera en ouverture du FINA le 13 juillet au Metropolis. Le festival propose jusqu'au 23 juillet, sur le thème «20 ans à la rencontre du monde», une programmation diversifiée, autant sur le plan des genres abordés que sur celui des époques parcourues. De l'ensemble, voici quelques suggestions.

D'abord, les vétérans congolais de Kekele, partis depuis leur plus récent disque, Kinawana, à la recherche des classiques de la rumba cubaine : des crooners avec attitude ! Puis, Les Amazones de la Guinée, qui furent les premières de la tradition de leur pays à s'attaquer au djembé, symbole de la puissance masculine : fermement explosives. Amateurs de hip-hop ? Daara J., l'un des meilleurs parmi les 3000 groupes de rap dakarois, précédé des Montréalais de Kulcha Connection en mode moins roots qu'auparavant. Du bon folk africain ? Daby Touré, généralement plus... rock sur scène.

Des découvertes ? Sara Tavares, chanteuse et guitariste au swing léger mais craquant, ouverte à tout le monde lusophone; Aurelio Martinez, du Honduras et du Belize, sa plainte bluesy et sa cadence bellement chaloupée; M'Toro Chamou, premier musicien de Mayotte à venir ici, la voix pleine de miel, le chant engagé et la rythmique insulaire désinvolte.

Et puis, des tonnes d'artistes montréalais, tous aussi allumés les uns que les autres : Paulo Ramos, riche d'un nouvel album qui confirme la tendance acoustique constatée depuis 2000; Lorraine Klaasen, une grande dame de scène; le guitariste Harold Faustin en duo avec Samina (vocabulaire singulier, battements des Caraïbes et jazz subtil); Senaya, l'étoile montante de la soul pop créole... Sans compter les trois jours, du 21 au 23 juillet, de concerts extérieurs gratuits à la place Émilie-Gamelin. Que de chemin parcouru en vingt ans !

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