Alors que sort ce jour uniquement sur Internet le nouvel album du groupe de rock Radiohead, d'autres stars pop montrent des velléités d'émancipation.
C'est l'un des premiers albums de l'histoire de la musique à ne pas avoir de prix déterminé. Radiohead propose une vente au chapeau pour In Rainbows, sa nouvelle œuvre disponible dès aujourd'hui exclusivement en téléchargement par le biais de ses deux sites internet (http://www.radiohead.com et http://www.inrainbows.com). En annonçant son projet la semaine dernière, le groupe de rock britannique proclamait surtout sa volonté de se passer des intermédiaires traditionnels, label comme distributeur. Radiohead, sans contrat avec une maison de disques depuis fin 2005, a ainsi provoqué une tempête au sein d'une industrie musicale minée depuis des années par la baisse des ventes de CD, le téléchargement illégal, les concentrations et les réductions d'effectif.
Un cauchemar pour l'industrie musicale
«C'est un coup dur. Si l'un des meilleurs groupes du monde ne veut plus de nous, je ne sais pas quelle place il nous reste dans l'industrie musicale», écrivait, dans un courriel au Time Magazine un responsable dépité d'un label européen. Au Time toujours, Thom Yorke, l'âme et chanteur du quintet d'Oxford, a pour sa part estimé qu'il était temps pour le groupe de tester un nouveau «business model». La formation, mondialement reconnue, a vendu à ce jour plus de 9 millions d'albums. Sa notoriété pourrait lui permettre de réussir la prise en main de son destin discographique et artistique. «C'est le pire des cauchemars pour l'industrie», a renchéri dans sa newsletter l'analyste américain Bob Lefsetz, habitué des commentaires vitriolés à l'égard de l'industrie phonographique qu'il scrute au jour le jour. «Un groupe superstar, LE groupe superstar va de l'avant par ses propres moyens. Prouvant ainsi que les autres peuvent en faire autant. Et c'est ce qu'ils vont faire.»
Certains n'ont d'ailleurs pas attendu l'initiative de Radiohead. De David Bowie à Peter Gabriel via Terence Trent d'Arby ou Prince (qui a encore innové en juillet en distribuant «gracieusement» plus de 2 millions d'exemplaires de son dernier album studio aux lecteurs du Mail on Sunday), plusieurs vedettes de la pop ont déjà éprouvé avec plus ou moins de succès la vente d'albums digitaux au porte à porte, des mains du producteur directement aux oreilles des consommateurs. Reste que la radicalité de la démarche des auteurs de OK Computer, qui ne devraient graver leurs nouvelles compositions sur Compact Disc que début 2008, est inédite à cette échelle. Parmi les artistes indépendants et peu connus, il y a belle lurette que ce type de vente directe sur la Toile se pratique.
Les ruptures de ban à venir
Il devrait toutefois essaimer d'autres futures retentissantes ruptures de ban avec la filière traditionnelle. Au Courrier International, Manu Chao déclarait ainsi récemment que La Radiolina serait sans doute son dernier CD: «Je n'arrêterai pas la musique, mais, vu l'évolution technologique, peut-être que par la suite, dès que j'aurai une nouvelle chanson, je la mettrai en ligne... J'utiliserai mon site internet comme une station de radio.» Et d'abonder dans le sens de Thom Yorke et Radiohead: «Il faut penser à de nouvelles manières de diffuser la musique. L'avenir, pour nous auteurs, compositeurs, artistes, passe par deux choses: Internet et les concerts.» Avec un minimum d'intermédiaires s'entend.
L'autre remise en question brutale du système actuel pourrait venir de Madonna. Selon le Sunday Mirror, la star s'apprêterait à quitter la major Warner Music qui l'héberge depuis vingt-cinq ans. Troisième du classement des artistes les mieux payés du monde, la Madone pop pourrait signer un contrat d'environ 75 millions d'euros avec Live Nation, le géant mondial de l'organisation de concerts. Cette major du spectacle vivant s'occuperait en priorité des tournées de Madonna (plus lucratives que ses ventes de CD) mais aussi de la sortie de ses prochains disques.
Où réside le salut?
Dans une filière qui était habituée jusqu'ici à une claire division des rôles et des revenus, de telles initiatives peuvent déstabiliser. D'autant qu'en perdant leurs principales vaches à lait, certaines majors du disque pourraient vaciller sur leurs bases économiques déjà fragilisées. «Dans l'absolu, grâce à Internet, vous n'avez plus besoin d'être une maison de disques pour sortir des CD», admettent la plupart des employés de majors - mais sous le couvert de l'anonymat uniquement. L'époque où les majors contrôlaient les carrières des artistes toucherait même à sa fin, selon certains d'entre eux.
Pas sûr du tout, à l'ère où les ventes digitales ne représentent que 10% des ventes totales. Les acteurs de la branche musicale ne cessent toutefois de chercher d'autres débouchés, de cumuler les casquettes pour tenter d'endiguer les effets du cataclysme économique durable. Dans cette idée, les concentrations ou diversifications des sphères d'influence des gros producteurs se mènent à bon train. En 2006, Universal Music Group a racheté pour 1,63 milliard d'euros BMG Publishing, devenant ainsi numéro un mondial de l'édition musicale (ndlr: l'éditeur possède le droit d'exploitation d'une œuvre musicale quel qu'en soit le support). Universal avait aussi acheté à Paris la salle de concerts l'Olympia. Désormais, la nouvelle tendance en cours au sein des maisons phonographiques est la signature de contrats couvrant toutes les activités de l'artiste et toutes ses sources de revenus. A l'image des accords passés entre EMI et Korn, Robbie Williams ou les Pussycat Dolls.
Olivier Horner Le Temps
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