10 septembre 2008

Hector Zazou rejoint les mers froides

Ludovic Perrin, Liberation, mercredi 10 septembre 2008

Disparition. Le musicien touche-à-tout, producteur de dizaines de projets world-new age, est mort à 60 ans.

Hector Zazou est mort lundi. Dans un mois sortira son dernier projet, In the House of Mirrors, enregistré à Bombay avec des Indiens. Un album minimaliste dans la lignée de ce qu’a pu produire ce musicien activiste en quarante ans.

Situationniste. Né le 11 juillet 1948 à Sidi Bel Abbès (Algérie) sous le nom de Pierre Job, Hector Zazou avait amené la radicalité expérimentale sur le terrain populaire, comme la marge tient les pages. Révélé au sein du collectif Barricade en 1969 à Marseille, ce bassiste nourri à Captain Beefheart et Raymond Roussel ambitionne de capter en musique l’esprit situationniste d’époque par une série d’emprunts, de détournements et de foutages de gueule. Mot d’ordre : ne pas sortir de disque avant 2000.

La promesse a été tenue puisqu’ont finalement paru les chutes de Barricade, collectif scindé en deux fragments, Crève vite charogne d’un côté, Roquet et ses Lévriers Basanés de l’autre, avec Hector Zazou et Joseph Racaille. Ensemble, rodés à la manche (Chaussettes noires et Danny Logan au répertoire), ils enregistreront deux albums sous le nom de ZNR, Barricade III et Traité de mécanique populaire. En 1979, Racaille quitte l’appartement communautaire. Et Zazou le suit un an plus tard à Paris. Mais de son côté. «C’était un formidable compositeur et catalyseur, mais qui pouvait avoir un côté chef», se souvient Joseph Racaille, devenu un arrangeur couru (Bashung, Thomas Fersen, Dick Annegarn).

Un trait de caractère qui revient quand on évoque Hector Zazou : organisateur capable de donner sa chance au débutant (Renaud Gabriel Pion, clarinettiste) et de s’entourer de figures arty du moment (David Sylvian, Lisa Germano). Comme ses mouvements disparates, c’était un «personnage difficile à cerner, sachant se faire silencieux et parfois sentencieux, maître d’école. Mais derrière ce caractère fort, il y avait une vraie exigence de projets libérés des visées charts», se rappelle Dominique Dalcan, invité sur le projet Sahara Blue (1992).

Contre-emploi. Hector Zazou vient alors d’accéder à la reconnaissance avec Les Nouvelles Polyphonies corses, Victoire de la musique 1992. Ce projet mêlant le piano de Sakamoto aux voix de l’île de Beauté résume l’axe Zazou: «L’idée était de prendre des gens et, comme si leurs racines ne suffisaient pas, de les réinventer en croisant continents et cultures.» Cela se fait chez cet admirateur de Brian Eno, Steve Reich et John Cage, au travers de castings à contre-emploi. Depardieu et John Cale, Khaled et Richard Bohringer, Siouxsie et Björk se retrouvent sur des albums prolongeant le rêve de «musiques nouvelles» que Zazou avait depuis ses premières expériences électroniques au sein de Barricade et ZNR : conjuguer piano à queue et séquenceur, ambient et sons du Maghreb, voix polaires et rythmes africains. Ou l’inverse : synthépop Soft Cell et griot (Zazou-Bikaye). «Les idées lui venaient parfois en studio, poursuit Dalcan. C’était un tchatcheur, capable de vendre un projet sur un pitch. Il embarquait les gens dans sa finalité à lui. Certains en ont bavé, mais c’était formateur. Il ouvrait la tête et l’esprit.»

Jeanne d’Arc. Chansons des mers froides clôt en 1995 la trilogie des grands travaux Zazou. Le musicien n’en continue pas moins de varier les genres : album acoustique avec Jane Birkin et Lisa Germano (suivi de son jumeau électronique), relecture des chants sacrés du XIIe siècle en Irlande avec un trio de chanteuses soutenues par le Galicien Carlos Nuñez, Mark Isham et Peter Gabriel, compos pour le Balanescu Quartet, musique sur la Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, pour finir sur un projet avec le peintre Bernard Cailleau, Quadri+Chromi, en 2006. Tout un éventail qui reflétait la multiplicité inquiète revendiquée par un musicien trop curieux pour s’inscrire dans une ligne.

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