Dimanche après-midi
Pierre Foglia/ La Presse
Cela s'appelle On fait tous du show business , c'est à la télé de Radio-Canada et cela s'annonce comme une très bonne émission culturelle d'après mon collègue Hugo Dumas. C'est animé par Catherine Perrin, la madame culture de C'est bien meilleur le matin. Si j'ai bien compris, elle va refaire, mais en moins people, ce que Christiane Charette faisait Chez Roger, qui était une très bonne émission aussi, mais égarée aussi le dimanche après-midi. C'est là que je voulais en venir: le dimanche après-midi.
Cela s'appelle On fait tous du show business, je ne trouve pas que c'est une bonne idée pour un magazine culturel. La culture, ça devrait être justement quand on arrête de faire du show business. Je ne la regarderai pas, pas à cause du titre. Mais parce que le dimanche après-midi, de 15h à 17h heures, je ne regarde pas la télé. Je suis dehors, je marche dans le bois ou je pédale. Quand il ne fait pas beau, je lis ou je travaille. Et si j'allume la télé, c'est pour regarder la NFL. Jusqu'au mois de janvier la NFL, après janvier on recommence à rouler (à la cave) pour préparer la saison de bécyk.
Pourquoi c'est toujours le dimanche après-midi les émissions culturelles à Radio-Canada?
Parce que, m'explique mon collègue Hugo Dumas.
Merci, Hugo.
Allez, je ne suis pas si déconnecté que ça. Je sais bien pourquoi. Les cotes d'écoute et tout ça. Un magazine culturel parce que la culture c'est dans le mandat d'une télé publique. Mais le dimanche après-midi parce qu'au fond, la télé publique, elle s'en crisse de la culture. Comme ça tout le monde est content. On pourrait dire que la culture c'est comme le jus de pruneaux, c'est bon pour la santé, mais ça fait chier.
D'ailleurs, je crois qu'il y a un grand malentendu à propos de la culture à la télé et de la culture en général.
La culture est souvent définie comme une somme. J'ai lu 12 millions de livres (je ne parle pas de moi, là). Je suis allé 43 257 fois au musée (là non plus!). J'ai étudié le Siècle des lumières. J'ai étudié non seulement les beaux-arts mais l'art de vivre des différentes civilisations et des différentes classes à l'intérieur de chacune de ces civilisations. J'ai appris à reconnaître les objets que ces civilisations ont produits. Eh bien non. La culture n'est pas la somme de ces connaissances-là.
Au lieu de considérer la culture comme un état, on devrait l'envisager comme un moment, le moment où l'on reçoit, où l'on participe à un discours culturel, où l'on est mis en présence de mots, de sons, de formes qui viennent nous arracher au quotidien, aux habitudes, je sens que vous allez regimber, qui viennent nous arracher à la consommation, tout particulièrement à la consommation de la culture.
Céline Dion ne nous arrache à rien du tout. Mais Anna Gavalda non plus. Pavarotti non plus. Giacometti non plus. On est dans l'assouvissement.
On reprend les mêmes et on demande à des intellectuels - des passeurs - de dégager un discours sur l'influence de Céline Dion, de détricoter le minimalisme de Gavalda, de comparer l'opéra-pop à la world de Peter Gabriel. On demande à des passeurs - la culture est le moment du passage - de nous émanciper de la simple consommation.
La culture, c'est la tentative que l'on fait de devenir adulte de temps en temps, de fermer un peu la gueule à l'enfant en nous, l'enfant qui veut toujours jouer, toujours manger des bonbons sucrés à s'en rendre malade, l'enfant qui veut toujours jouer à des jeux merdiques, la valise, le banquier, le paquet voleur.
La culture, ce n'est pas tout savoir du Quattrocento florentin, c'est quelqu'un qui t'en parle, et le lien que tu fais tout seul avec la musique ou avec la création romanesque. C'est le moment où tu penses tout seul. Juste un petit moment adulte. Juste un petit moment culture. La télé est, enfin serait, un sacré bon médium pour ce genre de moment. Pas toutes les cinq minutes, bien sûr. En tout cas, pas le dimanche après-midi quand Pittsburgh, deux victoires aucune défaite, reçoit les 49ers invaincus aussi...