Batteur attitré du gotha de la scène pop-rock et juré impitoyable de La Nouvelle Star, Manu Katché, signe son retour avec Playground (terrain de jeu) son deuxième opus, enregistré à New York avec son quintet de musiciens européens. Douze ballades aux climats zen et impressionnistes qui évoquent le Miles Davis de Kind of Blue et de Birth of the cool...Il s'explique pour leJDD.fr.
A écouter l'album, on vous devine comme un type assez contemplatif...
Définitivement. Je peux m'asseoir pendant trois heures pour regarder la montagne et les nuages. Sans m'ennuyer une seconde. Pareil à la mer ou sur la terrasse d'un café. C'est une activité solitaire, pas toujours facile pour mon entourage, mais j'ai besoin de me retrouver seul avec moi pour laisser mon esprit se balader et me retrouver dans une espèce de somnolence. Chacun a sa manière de se retrouver en soi-même pour ensuite délivrer de purs moments de plaisir.
Certains morceaux évoquent directement Miles Davis...
Dans mon premier album, il y avait aussi des références à l'album Kind Of Blue. C'est un maître, un leader d'opinion musicale, il a su passer les époques sans jamais se répéter, avec le souci constant de se renouveler et de se réinventer. Je l'ai rencontré une seule fois pendant la tournée Amnesty 88 avec Peter Gabriel dans le New Jersey, au Giant Stadium. Après le concert, Miles était dans les loges et il me dit de sa voix caverneuse: Man, you sound great (Mec tu sonnes bien). Je n'ai malheureusement jamais joué avec lui.
Vous semblez adhérer à sa philosophie: "Jouer peu de notes mais de belles notes...
Oui, je ne suis pas un grand fan de milliards de notes jouées en une mesure. Mais je respecte, chacun sa façon de s'exprimer. Dans la musique, il faut toujours penser au silence, le respecter, lui laisser une place. Cela peut paraître étonnant pour un batteur de dire ça. Mais quand le silence est bien placé, la note qui suit est juste magique.
L'album a été enregistré en trois jours. Pourquoi si vite ?
C'est la règle dans le jazz. Les budgets ne sont pas les mêmes que pour les albums "mainstream" pop ou rock. Trois jours, c'est quand même un peu court. Avec une semaine on aurait été vraiment très confortables. Là, il faut aller un petit peu plus dans l'urgence. Ce qui n'est pas désagréable non plus. On va à l'efficacité. On a répété une journée et on a enregistré en deux jours, dans les conditions du live, tous ensemble dans le studio, à l'ancienne.
Enregistrer à New York, c'est inspirant ?
Quoi qu'on en dise, New York demeure la Mecque du jazz. Et puis j'adore cette ville pour son architecture, son énergie, avec les coursiers le matin, le bruit... Et même si l'album est assez zen, je trouvais bien de me nourrir de cette énergie parfois agressive, au sens positif du terme, pour ensuite se retrouver dans un îlot ouaté et de jouer une musique assez zen, plénitude. Le prochain album, on ira peut-être l'enregistrer au Caire, une mégalopole bouillonnante que l'on présente souvent comme le "New York du Proche-Orient".
Dans votre quintet, on retrouve deux musiciens polonais et deux musiciens norvégiens. Fâché avec les jazzmen américains ?
Evidemment, j'adorerais jouer avec Branford Marsalis ou d'autres. Mais je me sens plus d'affinités avec les Européens. En fait, j'ai l'impression que le jazz européen a vraiment pris le pas sur le jazz américain. Il fut une époque où on était vraiment très complexé. Si on n'était pas noir américain né à New York, c'était une catastrophe. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La musique instrumentale européenne se construit par le mélange du jazz avec sa liberté d'improvisation mais aussi avec l'influence de la musique classique. Bien plus que dans le jazz américain. Et c'est une force.
"Je ne me revendique pas comme un jazzman"
Vous avez une éducation musicale classique. A quand remonte la rencontre avec le jazz ?
Cette musique a été omniprésente durant toute mon enfance. De huit à douze ans. A la maison, mon beau-père écoutait beaucoup de be-bop. A l'époque, je m'entraînais à la batterie dans la cave de mes grands parents en écoutant les disques de Dizzy Gillepsie, Bird ou du regretté Art Blakey...
Vous vous considérez comme un jazzman ?
En fait j'ai du mal à utiliser le mot "jazz" pour décrire ma musique... Dans ce milieu, on trouve beaucoup de puristes, des "intellectuels de la chose" très sourcilleux quant à l'utilisation du mot "jazz". Pour eux, "Manu Katché ne saurait être un jazzman". Et c'est vrai. Je ne me revendique pas comme un jazzman. A mon petit niveau, je fais de la musique instrumentale, à connotation jazz. Le problème avec les puristes, c'est qu'ils refusent souvent de voir cette musique s'enrichir d'autres influences et d'autres univers. Au risque de la scléroser et d'en faire une musique "musée".
On vous retrouvera à la télé dans le jury de La Nouvelle Star ?
Non c'est fini. Pour de bon. J'ai fait quatre saisons, je me suis bien amusé, ça m'a apporté beaucoup et je n'ai pas l'impression d'avoir vendu mon âme. Mais cette année, j'avais envie de concentrer sur la tournée. En revanche, je continue One Shot Not sur Arte, qui passe en mensuel en janvier 2008. Je fais encore un peu de télé, mais différemment, moins grand public, plus axée sur mes goûts personnels... On retrouvera Annie Lennox, Ben Harper, Craig Armstrong, Jamie Cullum et Peter Gabriel.
Votre album s'appelle Playground, soit terrain de jeu... c'est un clin d'oeil au terrain vague de votre enfance ?
Je n'y avais pas pensé, mais c'est vrai que môme, j'ai passé beaucoup de temps à jouer sur un terrain vague près de chez mes grands-parents. Pour la petite histoire, c'est sur ce même terrain que fut construit le conservatoire où j'ai commencé mes études de musique. Sans doute un signe du destin...
CD. Playground (ECM/Universal)
En concert le 8 octobre. Théâtre des Champs-Elysées.
Propos recueillis par Eric MANDEL/ leJDD.fr