C'est le rendez-vous annuel des aficionados de musiques du monde: le Womad (World of Music and Dance), créé en 1982 par Peter Gabriel, quand le terme "world music" n'existait pas encore. Depuis vendredi et jusqu'à ce soir, plus de 20000 festivaliers - familles avec enfants, hippies sur le retour, jeunes branchés ou routards - vont investir le site installé en pleine campagne à une centaine de kilomètres à l'ouest de Londres.
Le tout dans une ambiance bon enfant, entre animations de kermesse et concerts (Rachid Taha, Orchestra Baobab, Seun Kuti...). Pour l'occasion, Peter Gabriel est venu présenter son nouveau bébé, Big Blue Ball. Rencontre avec un artiste multicarte, pionnier des musiques du monde et de la révolution Internet...
Pourquoi avoir attendu seize ans pour sortir un nouvel album?
Nous avions accumulé une quantité vertigineuse de travail. Je dois l'avouer, c'était intimidant. Il a fallu procéder à des choix difficiles. Ces sessions ont sans doute été l'expérience la plus amusante de ma vie de musicien. Mon studio était devenu une sorte d'agence matrimoniale pour artistes du monde entier. Et nous avons célébré de beaux mariages. Prenez la rencontre entre Papa Wemba, la star de la rumba zaïroise, avec un guitariste flamenco. Aujourd'hui, c'est commun, mais à l'époque c'était assez radical! Iggy Pop et Joe Strummer étaient également venus. La musique est définitivement un langage universel, ce projet le prouve. D'où son titre. Vue de l'espace, la Terre n'est qu'une grosse boule bleue, sans la moindre frontière.
Durant votre carrière, vous avez absorbé différentes cultures musicales, un peu comme une éponge?
A la base, le rock est une musique noire. Et puis des musiciens blancs ont imité Chuck Berry ou Little Richard pour arriver à autre chose. Dans les années 1920, Picasso a peint Les Demoiselles d'Avignon après avoir assisté à une exposition de masques africains. Et ce fut le début du cubisme. Toute forme d'expression se nourrit de l'extérieur. La génétique ne dit pas autre chose avec la consanguinité: se reproduire en circuit fermé provoque fatalement un affaiblissement et des malformations.
Depuis 2002 et Up, on attend toujours votre album solo...
J'ai déjà une soixantaine de chansons en boîte. Je ne suis pas pressé. Je suis depuis dix jours le papa d'un petit garçon. Je veux passer du temps avec lui et le voir grandir.
Vous êtes à la fois un artiste et un entrepreneur. Deux activités faciles à concilier?
Je réfute l'idée naïve selon laquelle l'art serait une forme d'expression noble et le business une activité bassement commerciale. La vérité est plus complexe. Avec l'argent gagné, j'ai pu créer mon label, monter mon propre studio d'enregistrement à la pointe de la technologie. En ce moment, nous travaillons d'ailleurs sur le mixage sonore du prochain James Bond. Le but n'a jamais été de faire de l'argent pour de l'argent. Mais l'indépendance financière permet de préserver ma liberté d'artiste.
A 58 ans, vous avez publié huit albums solos en trente ans de carrière. Cela vous semble-t-il suffisant?
Si j'ai quitté Genesis en 1975, c'est justement pour avoir la possibilité de m'impliquer dans différents projets en même temps. Bien sûr, je fais des choix. Entre reformer Genesis et contribuer à la naissance du projet "The Elders" pour les droits de l'homme, de Nelson Mandela, j'ai choisi la seconde option, celle tournée vers l'avenir. Et non celle du passé. Je suis fier d'avoir initié le Womad ou d'avoir créé la première plate-forme de téléchargement, bien avant iTunes et Napster, que Nokia a rachetée en 2006. Si je m'étais un peu moins investi dans mes différentes activités, j'aurais sans doute produit trois ou quatre albums supplémentaires. Mais ma vie aurait été moins passionnante.
Propos recueillis par Eric Mandel, à Londres pour Le Journal du Dimanche