Angélique Kidjo, Djin Djin : Semi-déception admirative
Miriam Makeba a toujours été une référence absolue pour Angélique Kidjo, qui a d'ailleurs enregistré son « Malaïka » dès l'adolescence, avant de chanter en première partie de ses concerts. Nées à 28 ans de distance (l'une en 1932, l'autre en 1960) leur ascension et leur progression semblent miraculeusement parallèles : de leur enracinement dans leurs pays d'origine vers un rayonnement universel à travers les filtres magiques afro-américains du jazz et de la soul.
Ce disque est sans doute celui où la dévotion de Kidjo rejoint l'influence de Makeba au point de faire d'Angélique l'héritière idéale, indiscutable de Miriam. Sa voix de bronze béninois y atteint souvent la justesse, la générosité et la luminosité de la voix d'or sud-africaine.
Bien entendu, on ne saurait résumer la musique d'Angélique Kidjo à cette noble filiation, et «Djin Djin » est plus encore que tous les précédents un album qui reflète une personnalité hors du commun.
Pour ne rien vous cacher, à première écoute, j'ai été consterné et même énervé par le côté gnan-gnan d'« Ae Ae » (qui ouvre l'album) et par quelques concessions inutiles aux modes ambiantes, comme «Arouna », facétie bollywoodienne qui me semblait a priori friser le ridicule… et qui n'est finalement pas si mal, quand on y revient après avoir écouté «Lonlon », adaptation ahurissante du «Bolero » de Ravel. Preuve que la beauté mystérieuse de cette voix impérieuse et métallique transcende tous les contextes, tous les styles musicaux.
Angélique Kidjo est une personnalité un peu agaçante, trop parfaite, trop évidemment consensuelle et transparente, peut-être (comme Youssou N'Dour ?) à cause des ONG qui se disputent leur bénévolat.
Angélique Kidjo, une version africaine de Barbara Hendricks ?
On en oublierait presque qu'elle est comme cette dernière une chanteuse et une musicienne d'un niveau absolument exceptionnel.
Dans « Djin Djin », écoutez la façon dont elle s'impose aux côtés de la ravissante diva du r'n'b Alicia Keys, tout en retrouvant ce vieux compagnon qu'est le génial saxophoniste de La Nouvelle-Orléans, Branford Marsalis. Ce morceau suffit à nous rappeler qu'Angélique Kidjo est (aussi) une vraie chanteuse de jazz. « Gimme Shelter », des Rolling Stones, prouve aussi qu'elle n'a rien à envier à la jeune prodige anglaise Joss Stone dans le registre « gospel & soul ».
Le duo avec Peter Gabriel (« Salala »), sur un bel accompagnement polyphonique vocal, est ravissant, mais sans rien d'original. « Senamou », sur accompagnement de kora (Mamadou Diabaté) et chœurs d'Amadou & Mariam, est nettement plus jouissif. La reprise du « Pearls » de l'anglo-nigériane Sade est une grande surprise, avec la belle voix de baryton de Josh Groban, la guitare toujours épatante de Carlos Santana, et une partie de quatuor à cordes bien écrite.
Sur « Sedjedo », Angélique fait chanter Ziggy Marley sur les chœurs et les rythmes de son Bénin natal, et c'est vraiment magnifique.
Il faut enfin vous le dire : ce cd est indiscutablement, malgré ou à cause de son ambition « mondialiste », celui où la Kidjo aura réussi le mieux jusqu'ici à introduire dans sa musique enregistrée la quintessence des rythmes béninois, grâce à la participation de percussionnistes du fameux Gbangbé Brass Band, maîtres des cloches (à battant externe) du vodun.
La « mondialisation musicale » est toujours équivoque : Angélique chante le début d' « Emma » comme ses sœurs le feraient à la sortie d'un couvent vodun à Ouidah (sa ville natale, celle de la tristement célèbre "porte du non-retour" puis le morceau devient une espèce de «folk song » extrêmement banal, où elle élève instinctivement la voix pour retrouver faute de mieux son modèle éternel : Miriam Makeba.
Il ne lui reste donc plus qu'à prouver demain (peut-être en ignorant les préoccupations commerciales de ses producteurs) que sa voix est le plus beau pont musical entre l'Afrique, l'Amérique et le monde entier. Elle doit bien savoir qu'elle en a la culture et les moyens.
Gérald Arnaud
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