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(Atom) Gabriel Real World News

08 juillet 2007

Genesis, le même refrain

Le groupe de Phil Collins, de nouveau ressuscité, a débuté sa tournée européenne à Bruxelles et passera samedi par le Parc des Princes. Genesis Samedi à 20 h 30 au Parc des Princes à Paris.

Aux deux tiers du concert, alors qu’un hululement futuriste vient de naître du côté des synthétiseurs, Phil Collins se pose face au public et, sérieux comme un pape, entame Mama (1983). Sa voix est faussement déchirante, insupportablement nasillarde. Des couleurs technoïdes tombent des projecteurs, le stade Roi-Baudouin se transforme en une gigantesque discothèque au moment du slow. Un sommet de mièvrerie, et pourtant c’est à cet instant précis qu’on comprend que, si Genesis ne restait pas nimbé d’un peu de sa gloire ancienne, un tel rituel n’aurait tout bonnement aucun sens ; que, si contestée fût-elle, sa brève période faste confère à sa décadence une tournure fascinante - et que c’est peut-être cela qui, au fond, attire les foules.

Pitre.
Genesis en 2007, c’est comme le débat sur les anciens soixante-huitards qui n’en finissent pas de se renier : depuis trente ans, le groupe donne le spectacle de son interminable dissolution et, ­depuis trente ans, le public en redemande.

Après une décennie de silence, la tournée européenne et américaine promet de remplir les stades et les caisses. Même si ce soir-là, à Bruxelles, le stade n’était pas complètement plein, les quadras en K-Way étaient là en nombre, sous la bruine, attendant dans une ambiance de kermesse d’école leurs idoles de jeunesse. Un couple est venu d’Italie parce qu’à Rome l’unique concert sera gratuit et qu’il y aura «trop de monde». Petit détail de la sociologie musicale européenne des années 70 : l’Italie fut le premier pays à placer Genesis en tête des ventes, avec Nursery Crime, en février 1972. Evidemment, ça fait un bail.

Malgré le fond de scène en forme de capot de Rolls-Royce et les feux d’artifice du finale, ce n’est même pas l’énorme barnum qu’on imagine. La scène est étonnamment petite et le spectacle tient plutôt des retrouvailles attendries. Le son est bon si l’on reste bien en face, et Phil Collins (56 ans) fait un pitre acceptable pour son âge. C’est comme avec d’anciens copains, on est content de se revoir mais on n’a plus grand-chose à se dire et on se réfugie dans les banalités. Ce qui, dans le cas qui nous ­occupe, veut dire les grimaces à ­répétition de Phil Collins, les nappes de violon de Tony Banks (57 ans) et l’inexi­stence du bassiste Mike Rutherford (56 ans). Les exemples abondent : Follow You Follow Me (1978), (1983), Home By the SeaNo Son of Mine (1991). Le public reprend les refrains, et on s’ennuie ferme. En quantité, sur deux heures et demie de concert, les titres de la grande époque (jusqu’à Duke, en 1980) font jeu égal avec ceux de la dérive ultérieure. Mais dans toutes retrouvailles l’important se situe ailleurs, dans ce qui n’est pas dit, dans l’idée même de séparation qui plane sur les têtes dès la première note et prend, au mitan du concert, la forme d’images vieillies projetées sur écran géant, en compagnie de Peter Gabriel et Steve Hackett. «Nous sommes Genesis et nous sommes là pour vous divertir», a lancé Collins en arrivant sur scène. Magnifique dénégation : sous prétexte d’entertainment, c’est une bataille contre le temps qui se joue dans Genesis version 2007. Une bataille un peu pathétique mais également émouvante, ce qui, en finalement, en fait tout le prix.

Emiettement.
Car ce groupe porte, comme une croix, le deuil jamais fait de ses ruptures, d’abord avec le chanteur Peter Gabriel en 1975, puis avec le guitariste Steve Hackett en 1977 (à cet égard, le second rôle où sont maintenus sur scène leurs deux remplaçants, Chester Thompson à la batterie et Daryl Stuermer à la guitare, fait un peu mal au cœur : Thompson a beau jouer depuis trente ans avec Genesis, pas question d’en faire un membre à part entière).

L’émiettement étant le destin de Genesis, Collins déserte à son tour l’entreprise en 1996. Restés seuls, Banks et Rutherford tentent un ultime album, qui fait un flop, avant de choisir la mise en sommeil de la marque déposée. Mais pas le constat de décès, surtout pas ! Durer et endurer, ne jamais finir, voilà la devise d’un groupe qui ne s’appelle pas Genesis par hasard.

Blessé.
Un homme porte les stigmates de la hantise de l’ultime séparation : le clavier Tony Banks. Dans les années 70, il domine le groupe, lui donne son cachet sophistiqué. Plus tard, tandis que le tournant variété le relègue au rang de faire-valoir, il entame une carrière solo qui ne trouvera jamais son public. Le voici de retour à ses synthés, orgueilleux et blessé. Dimanche, à Bruxelles, il n’a pas décroché un sourire, l’air d’être toujours à deux doigts de se lever et de dire «ça suffit, j’arrête». Mais non, il reste, s’entête en papy du rock, comme il le promettait dans une interview télé de 1978 (qu’on trouvera sur le coffret Genesis 1976-1982 , ressorti par EMI). Au journaliste qui lui demande s’il s’imagine encore sur scène à 40 ans : «On n’a pas l’habitude, dans le rock, de voir des gens âgés . Mais je ne vois pas pourquoi cela ne ­changerait pas.» Bizarrement, ­cette obstination finit par payer, quoique de façon ­intermittente.

I Know What I Like
(1974), délicieuse ritournelle, n’a pas pris une ride. In the ­Cage et The Carpet Crawlers, tous deux extraits de The Lamb Lies Down on Broadway (1976), le meilleur album de Genesis, manifestent une liberté mélodique ­incomparable. Plus surprenants encore, Behind the Lines (1979) et Los Endos (1976), deux instrumentaux qui auraient pu mal vieillir, démontrent, au contraire, que la grande invention du groupe avait bien été le mariage de deux sonorités antagonistes : la batterie volubile de Collins et les synthétiseurs grandiloquents de Banks, qui y trouvent enfin une raison d’être - faire contre-chant, ­explorer, agrandir l’espace musical.

En novembre, en même temps que l’annonce de sa reconstitution, le trio a proposé à Gabriel et Hackett de revenir eux aussi au bercail. Les intéressés ont dit non, puis peut-être, et ont suggéré plus tard. Le petit jeu peut durer longtemps : encore une minute, monsieur le bourreau.

Par Eric Aeschimann/Libération samedi 30 juin 2007

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