Manu Katché, retour aux fondamentaux
Certains artistes ont une double vie cachée. Celle du batteur Manu Katché s'est toujours jouée au grand jour. Ces quatre dernières saisons, il était juré à « La Nouvelle Star », l'émission de téléréalité musicale de M6, tout en jouant une musique exigeante, aux antipodes des variétés. Peu après la sortie de Playground, son nouvel album, il donne ce soir un concert au Théâtre des Champs-Élysées, avant un retour en France plus abondant avec une tournée au printemps prochain.
La musique de Playground appartient avec une certaine fierté aux canons esthétiques du label ECM : des couleurs sophistiquées, un langage harmonique très développé, une capacité revendiquée à susciter la pensée plutôt que la danse. Manu Katché est heureux chez ECM, le plus légendaire label de jazz européen, chez qui il a déjà publié l'album Neighborhood il y a trois ans, en compagnie notamment de Jan Garbarek. « Je crois qu'ECM a été créé en 1969 et mon premier album acheté est Timeless, de John Abercrombie, en 1974 (Manu Katché avait 16 ans). Il faut se replacer trente ans en arrière : le jazz européen était assez faible dans son expression. Nous étions complexés parce que français et non noirs américains, et ECM me tenait à coeur à cause de quelque chose que je ne pouvais pas exprimer à l'époque car j'étais trop jeune : la notion de silence. »
Entre-temps, il a travaillé les percussions au Conservatoire national supérieur de Paris, été révélé comme batteur de rock en 1986 sur l'album So, de Peter Gabriel, a travaillé avec les Gipsy Kings et Joni Mitchell, Kassav' et Francis Cabrel, Dire Straits et Youssou N'Dour. Il figure sur 250 ou 300 albums, il ne tient plus le compte...
Attentif au partage
Mais son quintet de jazz est loin de tout cela. Deux Norvégiens (Mathias Eick à la trompette et Trygve Seim aux saxophones) et deux Polonais (Marcin Wasilewski au piano et Slawomir Kurkiewicz à la contrebasse) l'entourent, dans une formule volontiers méditative. Il ne s'est pas donné systématiquement le premier rôle dans ses compositions.
Il milite, à l'inverse, pour une batterie qui ménage des espaces, qui travaille au dessin mélodique, qui pense parfois moins au rythme qu'aux autres valeurs de la musique. Ses disques le montrent attentif au partage, heureux dans des dimensions conviviales. À 49 ans, Manu Katché a abandonné depuis belle lurette la course aux armements qui passionne tant de musiciens. Il est vrai qu'il a approché toutes les gloires, comme batteur de Peter Gabriel ou Sting dans leurs énormes tournées. « Le plus gros, c'est Woodstock deuxième génération, avec 300 000 personnes, ce qui n'est pas franchement intime et convivial. Dans ces moments-là, il y a une adrénaline extraordinaire. Mais aussi une telle perte de plaisir entre le public et soi !... »
Bertrand DICALE
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