De Jajouka à Montréal au Festival du monde arabe
Ils ont inspiré Paul Bowles, Brion Gysin, Brian Jones, Mick Jagger, Aerosmith, John Lennon, Yoko Ono, Ornette Coleman, Sonic Youth, Peter Gabriel, les Sex Pistols et Talvin Singh, pour ne nommer que les plus célèbres. Après plus de 1300 ans de pratique ancestrale, les Maîtres musiciens de Jajouka résident toujours dans ce village marocain du même nom.
«Notre musique est l'une des plus vieilles de l'humanité, elle existe depuis des milliers d'années. Dans notre monde moderne, le simple fait de la maintenir en vie et d'en faire la promotion la rend d'autant plus singulière. Cette musique est transmise oralement et n'a de fonction que de rassembler les humains et de célébrer la paix», soutient Bachir Attar, joint au Maroc il y a quelques jours.
Le village de Jajouka est situé dans les montagnes du Rif marocain. Pendant des siècles, la confrérie de musiciens qui en est issue a officié à la cour royale jusqu'à ce que les colons européens la repousse dans ses montagnes.
L'art musical de Jajouka est typique des sociétés traditionnelles; usant de modulations répétitives voire hypnotiques, il peut mener à la transe et on lui attribue des vertus de guérison à travers les différents rituels auxquels il se prête - mariage, deuil, circoncision, etc. On dit que cette musique très ancienne proviendrait de lointaines traditions de la Perse antique qui auraient voyagé au sud de la Méditerranée - notamment avec les Phéniciens. Cette musique de Jajouka se fonde sur la ghaïta (hautbois arabe), la nira (flûte de bambou), le gumbri (instrument à cordes), les percussions et le chant - pas moins de neuf instrumentistes et chanteurs seront sur la scène du Théâtre Maisonneuve, demain soir.
«Ma famille, explique Bachir Attar, a conservé la connaissance de cette musique. Je proviens d'une tradition orale malheureusement en voie de disparition. Après des siècles de stabilité, les temps ont changé. Nos enfants vont à l'école, les considérations monétaires et économiques l'emportent sur la tradition. J'ai peur que nous soyons la dernière génération de musiciens Jajouka.»
On sent l'inquiétude traverser le directeur artistique, fils de feu Hadj Abdesalam Attar qui fit connaître les Maîtres musiciens de Jajouka dans le monde entier. «Je rêve de fonder une école de musique, à défaut de quoi cette tradition va disparaitre. Cette école serait ouverte à tous, bien au-delà des citoyens du Maroc. Vous savez, les jeunes musiciens du Maroc sont davantage attirés par le star system que par la protection de leur patrimoine», déplore-t-il.
N'en demeure pas moins que les rock stars ont déjà trouvé très cool les Maîtres musiciens de Jajouka. Brian Jones, le défunt Stones, avait craqué pour leur musique à la suite de son fameux congédiement. Bachir Attar en conserve un vague souvenir.
«J'étais alors un petit enfant. Les plus anciens se rappellent qu'il avait été revivifié par notre travail qu'on n'incluait pas encore dans la catégorie world music. Le monde du rock s'était ensuite enthousiasmé à notre endroit mais il a eu tôt fait de nous oublier. Bien sûr, nous avons été très heureux de collaborer avec les Stones dans l'album Steel Wheels à la fin des années 80...»
«Une des rares relations qui durent est celle que nous entretenons avec le saxophoniste de jazz Ornette Coleman. Lorsque nos coffres sont vides, nous lui demandons de partir en tournée avec lui, il accepte immanquablement. Nous lui portons le plus grand respect. Un autre lien durable est celui que nous entretenons avec Lee Ranaldo du groupe Sonic Youth, un véritable ami.»
Quoi qu'il advienne des Maîtres musiciens de Jajouka, Bachir Attar ira jusqu'au bout de l'expérience. «Nous ne voulons pas être riches ni célèbres, nous voulons simplement partager notre culture avec tous les humains qui s'y intéressent.»
De Jajouka à Montréal, donc.
Alain Brunet/La Presse
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