Avec son nouvel album
Djin Djin,
Angélique Kidjo remet le Bénin au centre de sa musique. Pour la première fois, les percussionnistes béninois du Gangbé Brass Band donnent en studio la pulsation à tout l’album. Elle innove aussi en conviant un prestigieux casting :
Alicia Keys, Brandford Marsalis, Peter Gabriel, Amadou et Mariam, Carlos Santana ou Ziggy Marley… Avec
Djin Djin, tout en spontanéité,
Angélique Kidjo gravit un peu plus les marches de la sono mondiale.
RFI Musique : Angélique Kidjo, après votre trilogie d’albums qui vous avaient menée sur les traces de la diaspora noire aux Etats-Unis, au Brésil, aux Caraïbes, vous revenez au Bénin, pourquoi ?
Angélique Kidjo : Le Bénin m’a toujours suivi dans mes voyages. Cette trilogie m’a permis d’aller à la rencontre de cette diaspora noire, partie notamment du Bénin à cause de l’esclavage et qui a amené partout les musiques de ce continent. C’était pour moi une façon de créer un pont, pour qu’on puisse parler de l’esclavage sans pour autant culpabiliser et en même temps, en parler quand même… Pour moi, évidemment la meilleure façon de parler de tout cela, c’est la musique, car c’est un héritage, positif si on peut dire, de l’esclavage…J’ai pu le faire car j’ai retrouvé les traces de la musique du Bénin un peu partout donc j’ai suivi ce fil-là. J’ai découvert comment la musique traditionnelle de mon pays a pu se retrouver ailleurs, et comment cette musique, au Bénin, a pu être influencée par le retour des esclaves. Donc pour moi, la boucle est bouclée. Il reste des choses à faire, mais j’ai fait ma part. Il est temps que je revienne à ce que je faisais avant, c’est-à-dire, écrire mes chansons basées sur les percussions de chez moi, et mettre tout ce qui me vient en tête dessus.
Cela signifie que cet album serait un quatrième volet de ce parcours, en faisant rentrer les musiques de la diaspora au Bénin et plus largement en Afrique ?
Je ne pose pas la question. La chose la plus importante pour moi c’est l’inspiration, et je n’ai aucun contrôle là-dessus. Je ne me sers d’aucun instrument pour écrire. J’ai commencé comme ça, à emmagasiner les sons dans ma mémoire et à prendre ce qui était bon pour moi. Cela vient du Bénin. Mon pays a toujours été là, et sera toujours là, quoi que je fasse ; du rock’n’roll, du classique, tout ce qu’on veut. La voix que j’ai a été façonnée par la culture traditionnelle, par les langues de mon pays : les sources ont toujours été présentes, sinon je ne pourrais aller nulle part. Je voulais prouver dans cet album l’universalité de la musique, en mettant ensemble des gens de mondes différents. Pour la première fois depuis que j’enregistre, il y a eu pour Djin Djin des musiciens traditionnels béninois en studio pour jouer avec d’autres musiciens. Auparavant, j’allais enregistrer les rythmes, et je les mettais dans mes chansons tout le temps par… véritable besoin. Là, j’ai eu la démarche contraire. Les deux percussionnistes du Gangbé Brass Band ont pu avec leur expérience de studio, donner la bonne pulsation à tout le monde. Voilà autour de quoi le disque a été fait.
C’est sur cette base que repose tout l’album ?
La rythmique de l’album se repose sur eux. Moi, j’écris toujours rythme, parole et mélodies, je ne sais pas lequel vient en premier, mais les trois sont présents dans ma tête quand j’écris. Cela a toujours été comme ça.
Dans cet album, on vogue sans cesse d’un style à un autre, en terme de chant, ça doit être un challenge, non ?
J’aime pas m’ennuyer quand je fais un truc. Je voulais à tout prix donner le pouvoir aux percussions d'être la force maîtresse de tous les instruments : les guitares, le clavier, la basse, le kora, le balafon… S’il fallait se baser sur la cloche, tout le monde se basait sur le cloche et voilà…
Et l’enregistrement a eu lieu à New York, à l’Electric Lady, le studio de Jimi Hendrix, certainement pas un hasard...
Mais non, parce qu’il y a de moins en moins de studio où on peut enregistrer des albums live aujourd’hui ! Avec les ordinateurs, on peut enregistrer chez soi, un peu partout. Et puis un studio avec cette ambiance, il n’y en a pas des masses…Je voulais un studio pas trop froid, où tout le monde se sente comme dans un salon ou sur une place de village en Afrique, pour qu’on puisse tous communiquer. On était tous en cercle, je pouvais aller danser au milieu, et tout le monde se voyait. Electric Lady a permis cela.
Pourquoi avoir décidé d’inviter autant de musiciens sur cet album ? Certains viennent d’Afrique, d’Amérique, de Jamaïque…
Je n’ai pas vraiment décidé en fait… La seule personne qui était invitée d’office, c’était Alicia Keys, parce que ça fait trois ans qu’on se connaît et dès que j’ai commencé à écrire, elle m’a demandé si elle pouvait écouter. Donc, c’était avec plaisir que je lui envoyais tout ce que j’écrivais par email, et elle est tombée amoureuse de Djin Djin. Elle est la seule chanteuse r'n'b à écrire des rythmes 6/8 pour ses ballades. Tout le monde croit que c’est du 4/4 comme tout le r'n'b, alors qu’en dessous de sa musique, il y a vraie une pulsation africaine. C’était la seule personne qui était prévue en studio. J’ai dit à tous les gens que j’ai appelé qu'il n’y avait pas d’obligation, que je leur envoyais les chansons et qu'ils n'avaient plus qu'à choisir. Si rien ne leur plaisait, ce n’était pas grave… Chacun a donc choisi ses chansons. Dans l’album, je lance l’invitation avec Ae Ae, le premier titre, et après ils sont à l’honneur, c’est l’hospitalité africaine. Quand on invite les gens, ils sont les premiers à s’exprimer, c’est normal.
Angélique Kidjo Djin Djin (Odéon/ EMI) 2007
En concert au New Morning, à Paris le 4 juin
En tournée en Europe tout le mois de juin