Le metteur en scène
Peter Brook, les chorégraphes
Carolyn Carlson et
Maurice Béjart, des compositeurs aussi différents que
Peter Gabriel,
Georges Aperghis,
Nicolas Frize,
Didier Lockwood ou encore
Michel Portal… Et maintenant le cavalier
Bartabas et son cheval Le Caravage : visiblement
Kudsi Erguner séduit. Ensorcelle ?
Il y a certainement de cela dans les arabesques de notes qu’il tire de son ney, instrument que le musicien aime tant qu’il rappelle qu’
« il faut le jouer en l’embrassant de la bouche » . Ce soufi possède même tous les secrets de cette flûte à embout née au XVIII e siècle en Iran à partir des flûtes en roseau des bergers. Celle dont on dit, comme de la foi, qu’elle peut, avec l’aide de Dieu, déplacer les montagnes, communiquer avec la nature.
Il les a hérités de sa famille de musiciens et soufis depuis des siècles, et aussi de sa fréquentation avec de nombreux maîtres. Voilà maintenant près de trente ans qu’il l’est à son tour, « khalifa » de différents groupes confrériques, notamment Mevlevia, Halvetia, Arousia, Qadiria et Baktashia. Autant de sociétés traditionnelles officiellement interdites en Turquie depuis 1925.
Sa mission est de continuer à promouvoir leur reconnaissance et à mieux faire connaître leur culture soufie. En traduisant des textes de leurs poètes, en publiant des disques, et étant membre de l’orchestre de Radio Istanbul et bien sûr organisateur de cérémonies spirituelles. Aussi bien dans les zaouias (centres confrériques) que dans des festivals grand public tant aux États-Unis qu’en Europe.
Dans le même temps, depuis 1975, il vit à Paris où il a étudié l’architecture et la musicologie, élargissant sa connaissance des musiques soeurs de la sienne. Celles d’Inde et du Pakistan. Enfin, Kudsi Erguner y a créé une association d’enseignement de musique savante ottomane où il transmet le Mathnawi , l’oeuvre du grand poète Jalaleddine Roumi, base de la philosophe soufie.
« On peut voir Roumi comme un homme très pieux mais aussi un homme d’extase ou encore comme un soûlard-érudit-poète, une figure intouchable de l’histoire ou quelqu’un qui se prête toujours à des interprétations neuves, contemporaines. Cela dépend de comment vous voulez le voir. En fait, surtout, il nous renvoie à l’image que nous nous faisons de nous-mêmes.
C’est là, je crois, sa plus grande richesse. » À Fès, les habitués du Festival des musiques sacrées connaissent Kudsi Erguner car il a ouvert la première édition avec son ensemble de derviches tourneurs. Puis on l’a entendu lors de la dixième édition avec une formation de tambours ottomans, une surprenante musique de cour. « Maintenant, l’événement a pris de l’ampleur, il y a des caméras partout et des chambres réservées pour tout le monde !
C’est bien rodé. Il y avait besoin d’un projet comme ça, surtout venant d’un pays musulman. Concerts et débats invitent à une réflexion profonde sur les arts, la musique et aussi sur la situation actuelle du monde. » Que pense-t-il de la programmation ?
« On peut n’être pas forcément d’accord avec tout, penser que telle ou telle proposition ne relève pas de sa conception du sacré. Peu importe : la réussite est d’avoir créé un moment de rencontre, d’attention à l’autre et de réflexion. » Et comment vit-il sa situation de représentant de différentes confréries soufies ? « Face à ce problème que le monde a vis-à-vis de l’Islam, il est important de dire que les voies extrémistes violentes sont loin d’être majoritaires en son sein.
Avec beaucoup d’autres, je réaffirme que trop de politiques se cachent derrière les discours religieux. » Une complicité fusionnelle entre musiciens, cavalier et cheval Alors le soufisme serait l’alternative humaniste musulmane tant recherchée ? « Il ne faut pas non plus mythifier ce courant. Il faut faire attention à ce qu’un certain Occident arrogant et ethnocentré, nous enseigne de nous.
On voudrait que le soufi soit le gentil de l’affaire, le baba cool musulman : cela devient n’importe quoi ! Un tel festival rappelle au monde son existence, sa vitalité tranquille, son appétence intellectuelle. Mais trop peu connaissent vraiment son histoire. » Être soufi ce serait donc simplement dire la vérité, être authentique et sincère quelle que soit la pression extérieure.
« Un derviche qui se produit dans un grand hôtel pour un public de touristes, quelle que soit la qualité de son art, n’agit pas, comme dans une confrérie, pour invoquer Dieu. » Différence fondamentale qu’il ne faut pas hésiter à rappeler, quitte à écorner l’image d’Epinal, le folklore si rémunérateur et si destructeur de valeurs. Celui-ci n’est certes pas présent dans des propositions aussi exigeantes que celle qui amène Kudsi Erguner et le chanteur Nezih Usel à accompagner (au sens non pas de « servir », mais d’« être avec »), Bartabas lorsqu’il fait travailler son cheval Le Caravage. « Bartabas a découvert mon disque de flûte il y a vingt-cinq ans et l’a adoré au point de le diffuser lors des moments où il est avec son cheval.
Chérif Khaznadar, l’actuel directeur artistique de festival, fondateur de la Maison des cultures du monde à Paris et grand connaisseur de formes d’expression extra européennes, est un ami que nous avons en commun. C’est lui qui a provoqué la rencontre. La proposition de Bartabas m’a touchée. » Depuis une vraie complicité, fusionnelle, entre les musiciens, le cavalier et sa monture est parfois atteinte.
Elle ne s’explique pas vraiment mais témoigne de l’existence d’une certaine unicité du vivant. Lever de soleil, Bartabas, son cheval Le Caravage, les musiciens soufis Nezih Uzel et Kutsi Erguner, demain et mercredi, 4 h 45 aux carrières de Mérinides. Halakat Jalaleddine Roumi des confréries Qadiria et Mevlevia au musée Batha, lundi, 16 h 30.
«Un festival comme celui de Fès rappelle au monde l’existence du soufisme, sa vitalité tranquille, son appétence intellectuelle. Mais trop peu connaissent vraiment son histoire», affirme Kudsi Erguner.