Mis à mal par les graves turbulences politiques qui traversent la région, le Pakistan demeure un pays où la musique est reine. Cet art y est au carrefour entre les influences de l'ancien empire perse, des traditions tribales, notamment celles des zones qui font frontière avec l'Afghanistan, et des raffinements hérités de l'Inde, à laquelle le Pakistan appartenait avant la partition en 1947.
Terre musulmane, le Pakistan a perpétué les rituels mystiques soufis du nord de l'Inde et de l'Asie mineure, célébrant un dieu souverain par des chants dévotionnels débridés et des poésies enivrées. A cela, on ajoutera les allers-retours entre ceux qui sont restés au pays et la jeune communauté indo-pakistanaise du Royaume-Uni, friande de musiques électroniques rythmées et de cinéma Bollywood.
Le programme est passionnant, et le Théâtre de la Ville le suit depuis plus de vingt-cinq ans. On ne saura jamais assez gré à l'établissement parisien d'y avoir fait découvrir l'immense chanteur
Nusrat Fateh Ali Khan, en 1985, avant que ce soufi pur sucre né près de Faisalabad, au Pendjab, n'aille s'encanailler en 1990 avec le chanteur de rock
Peter Gabriel et les précurseurs du trip-hop de Bristol
Massive Attack pour un génial tube planétaire,
Mustt, Mustt.Icône du chant mystique qawwal - le chant dévotionnel soufi du sous-continent indien, 700 ans d'âge -,
Nusrat Fateh Ali Khan est mort prématurément en 1997, à 49 ans. Avec son physique de bouddha, sa voix hors du commun, sa bande de joueurs d'harmonium et de claqueurs de main,
Nusrat a été au qawwal ce que
Glenn Gould fut à une génération de pianistes désireux de jouer Bach : paralysant.
Au rayon de la foire aux spectacles,
Nusrat avait des concurrents : les délirants frères S
abri Brothers, de Karachi : cheveux longs et teints en roux, bagues à tous les étages, yeux maquillés au khôl. L'un des frères,
Ghulam Farid, trépassa en 1994, et le groupe disparut.
Samedi 31 janvier, dans l'un de ces concerts de fin d'après-midi du Théâtre de la Ville qui ne cessent d'être des havres de paix dans le bruit parisien, c'est un jeune chanteur,
Javed Bashir, et son groupe qui se risquent à la succession. Ils choisissent une troisième voie, un qawwal fervent, mains déployées, yeux au ciel, mais plus discret. L'emballement rythmique du qawwal de la génération
Nusrat, et son empressement à atteindre Dieu par l'extase, est refréné par des éléments d'un chant classique très maîtrisé, très intériorisé, proche de l'ancienne Perse.
Javed Bashir n'en travaille pas moins son physique, taillé à la serpe, par des allures de chevalier noir dans un costume d'ébène avec paillettes, car il a aussi des accointances cinématographiques - il a chanté pour le film
Khuda Kay Liye (In the Name of God), de
Shoaib Mansoor (2007), un film à succès sur l'après-11-Septembre.
La voix de
Javed Bashir s'enfonce profondément dans les graves, dans des contrées sonores d'où il faut revenir par paliers, sauf à vouloir s'y perdre à jamais. A ses côtés, son frère
Ali Akbar, en blanc, voix aérienne, plus haute, modulations de gorge en dentelle. Des tablas, une flûte, et des harmoniums portatifs (héritage des missionnaires portugais), et le tour est joué. Les voici chantant des poèmes de
Bullhe Shah (XVIIe siècle), d'
Amir Khusro (1253-1325), des hymnes à Ali, le guide des musulmans sunnites.
ZARSANGA, LA BRANCHE D'ORDire qu'il fait bon vivre au Pakistan serait osé. A Peshawar, où habite la chanteuse
Zarsanga, attendue au Théâtre des Abbesses, autre salle du Théâtre de la Ville, le 7 février, les musiciens aussi craignent la violence, et évitent de s'aventurer vers le col de Khyber qui mène à l'Afghanistan. Dans des temps moins rigoureux, Radio Peshawar diffusait de la musique et les chants de
Zarsanga ("branche d'or"), née il y a cinquante-cinq ans à Bannu.
Elle fut bergère, nomade, fille d'une tribu pachtoune, célèbres gardiens de ces montagnes, infiltrés aujourd'hui par la drogue, la CIA et Al-Qaida - pour résumer. Hier illettrée, elle a élargi ses compétences en chantant des ghazal classiques, posés au milieu de la complexe tradition pachtoune. Sa qualité de Pachtoune lui permet de se faufiler encore en Afghanistan pour y chanter.
Zarsanga est venue en France pour la première fois en 1989, au Festival d'Avignon. Depuis, elle fume toujours des cigarettes, elle porte toujours des voiles brodés, et chante dans un souffle discret.
Zarsanga, le 7 février à 17 heures, Théâtre des Abesses, 31, rue des Abbesses Paris-18e, M° Abbesses. Tél. : 01-42-74-22-77. De 12 à 17 euros. Disques :
Zarsanga, songs of the Pashtu, 1 CD Long Distance. A consulter :
www.mondomix.com.