La voix de l'autre Amérique
Tracy Chapman, 41 ans, chanteuse. Les mélodies aussi douces qu'engagées de cette timide en font comme malgré elle une des îcones de l'opposition à Bush.
La voix de l'autre Amérique
Par Alexandra SCHWARTZBROD, lundi 05 septembre 2005
Elle fait partie de ces personnages que l'on croit connaître sans rien savoir d'eux, ou presque. Voix singulière, rauque et chaude. Silhouette uniforme esquissée sur une pochette de disque. Rengaine lancinante, emblème d'une époque, cette fin de siècle qui donnait envie d'abattre les murs plutôt que de les édifier.
Familière donc. Et pourtant inconnue, cela saute aux yeux dès la première rencontre. Car ce que l'on n'a jamais dit de Tracy Chapman, ou très peu, c'est qu'elle est incroyablement belle. D'une beauté émouvante. Pas de celle qui électrise. De celle qui apaise. Passer une heure avec elle dans un Paris baigné de soleil procure le même doux plaisir qu'un de ses disques écouté à la tombée du jour, quand on attend la nuit.
Assise droite sur sa chaise, dreadlocks nouées en queue de cheval, chemise blanche boutonnée au plus près du cou, montre d'homme au poignet, anneaux d'argent sur ses mains d'adolescente, attentive, elle réfléchit longuement avant de répondre, cherche ses mots, parle sans hâte, boit de l'eau à petites gorgées, sourit. Douce, chuchotante. A l'image de sa musique.
C'est peut-être qu'elle n'a pas abdiqué, qualité rare. Dix-sept ans après son premier disque, Talkin' about a revolution qui l'avait propulsée en quelques semaines au sommet des hit-parades, elle revient avec un nouvel album, "Where you Live" aux mots comme des couperets.
Tracy Chapman, c'est une «success story» comme l'Amérique aime à en produire, avec des rebondissements dignes des meilleurs ou des pires scénarios hollywoodiens. Elle est née dans l'Ohio, à Cleveland, dans une famille très modeste. Avec sa soeur, elle est élevée par sa mère, le père ayant quitté très vite le domicile familial.
En juin 1988, une simple apparition à un concert de soutien à Nelson Mandela, en fait une star. L'événement les 70 ans du leader sud-africain est retransmis sur les chaînes de télévision. La jeune femme, que personne n'a encore jamais vue, chante Talkin' about a revolution. Le lendemain, ses disques s'arrachent, elle en vend 12 000 en deux jours. Trois mois plus tard, elle participe à un roadshow de six semaines en faveur d'Amnesty International aux côtés de Peter Gabriel, Bruce Springsteen, Sting et Youssou N'Dour.
«On était à São Paulo, au Brésil, avec Peter et Sting, on passait en revue les artistes qui pourraient nous rejoindre pour la tournée d'Amnesty. Et on a pensé à Tracy. Elle était encore peu connue, mais elle nous avait vraiment épatés au cours du Mandela show, se souvient Youssou N'Dour. A l'époque, il y avait beaucoup de musique technique et arrangée, de synthétiseurs. Elle nous avait réconciliés avec la simplicité.»
A partir de cet automne 1988, Tracy Chapman n'arrête plus, multiplie les célébrations : Bob Marley, Bob Dylan, Martin Luther King... rien que des «right guys». Forcément, ça ne laisse pas indifférent. Elle devient «la Dylan noire». Et peine soudain à assumer le rôle. Passage à vide. «Je l'ai revue à ce moment-là, raconte Youssou N'Dour. Elle était fragile, effrayée par ce qui lui arrivait.»
C'est sans doute son engagement politique qui lui permet de tenir le choc. Pour elle, la réussite ne se mesure pas seulement au nombre d'albums vendus, elle passe aussi par la fierté éprouvée chaque matin à se regarder dans la glace. «Mes chansons, pour moi, c'est une sorte de responsabilité civique. Grâce à elles, je peux avoir accès aux gens et aux médias...», explique-t-elle.
Elle insiste, soudain volubile. «Il est de plus en plus important que les habitants de ce pays s'impliquent, notamment en votant.» Tracy Chapman a ainsi participé, avant les dernières élections américaines, à une vaste campagne d'information pour encourager la population à voter. «J'ai essayé de faire quelque chose pour promouvoir l'équipe en laquelle je croyais» dit-elle.
Et l'amour, qu'elle chante presque autant que la politique ? Elle marque un temps d'arrêt. Sourit. «Il y a des cycles dans la vie. L'amour, oui, c'est très important.» Elle en a dit assez. Miss Chapman s'est déjà levée. Plus tout à fait inconnue. Peut-être moins familière.
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