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23 juillet 2008

Angélique Kidjo : "Régler la question de l'esclavage"

Propos recueillis par Véronique Mortaigne, Le Monde, 23.07.08

La chanteuse Angélique Kidjo vient de faire danser tout le monde sur la scène du Parc floral de Vincennes lors du Paris Jazz Festival, le 19 juillet. Elle arrive d'Italie, et repart le lendemain à Damas en Syrie, puis en Espagne pour un hommage à James Brown. Elle sera fin juillet à Vence puis à Lyon, avant de conclure une tournée européenne qui passait, rituellement, par le Montreux Jazz Festival, en Suisse. La chanteuse franco-béninoise est l'une des représentantes les plus audacieuses de la musique africaine moderne, entre les expressions issues de la tradition (fon et yoruba) et celles qui puisent dans la chanson, la soul music, le jazz, la pop...

Angélique Kidjo vit à New York depuis onze ans. Le 18 juin, elle était à Paris aux côtés de Bono, du groupe U2, Yannick Noah et Bob Geldof pour demander des comptes aux pays du G8 sur l'aide promise à l'Afrique. Francophone, Angélique Kidjo s'est liée d'amitié avec des stars du rock ou du jazz, comme le guitariste Carlos Santana, le compositeur, pianiste et chef d'orchestre Quincy Jones, les chanteurs Peter Gabriel et Ziggy Marley, le saxophoniste Branford Marsalis, la chanteuse Joss Stone ou le chanteur pop californien Josh Groban... Certains d'entre eux ont participé à l'album Djinn, Djinn (1 CD EMI), paru en 2007, lauréat d'un prestigieux Grammy Award américain en 2008. Quincy Jones lui envoya derechef un gros bouquet de roses blanches.

VM: Alors, vous avez volé le bassiste de Youssou N'Dour ?

AK: Habib Faye ? Mais non, il est venu de son plein gré ! Pour rire, un jour, Peter Gabriel m'avait présentée sur scène en disant : "Attention, elle mange les hommes au petit-déjeuner" ! Mais non, mais non ! Habib Faye avait besoin d'une parenthèse, d'air. Dans mon groupe, il est servi, il y a un Brésilien de New York, un Africain de Guinée-Bissau, un Américain originaire du Surinam...

VM: Peter Gabriel a dit de vous aussi : "Elle donne de la vie à tout ce qu'elle touche." Et Carlos Santana : "La voix de Kidjo me réveille, c'est mieux que toutes les drogues que j'ai prises." D'où vous viennent tous ces admirateurs ?

AK: Je les ai rencontrés au fil des concerts, ou du hasard, et puis ils ont compris ma démarche. Je suis partie aux Etats-Unis en 1997, parce que je commençais une trilogie sur l'esclavage (un album américain, un autre brésilien, un troisième caribéen). J'ai découvert l'existence de l'esclavage à l'âge de 9 ans, en voyant la pochette d'Electric Ladyland, de Jimi Hendrix : je regardais cette photographie d'un Noir qui n'était pas africain et, dans mon esprit d'enfant, c'était insensé. Mes parents m'ont expliqué ce qui était resté un sujet tabou au Bénin. Je suis née à Ouidah, l'une des capitales de la traite. J'ai voulu savoir comment mes pairs afro-américains vivaient ce chapitre de notre histoire. J'ai rencontré James Brown, Cassandra Wilson, Branford Marsalis, Alicia Keys, qui sont devenus mes amis, Erikah Badu, etc. Tant que la question de l'esclavage ne sera pas réglée, beaucoup de formes d'oppression et de néo-esclavagisme perdureront - les bonnes philippines enfermées en Arabie saoudite, les sans-papiers, les sans-droits, les clandestins qui viennent d'Afrique vers l'Europe sur les bateaux...

VM: Vous collaborez avec Bono, mais aussi avec Peter Gabriel, dont la fondation, Witness, lutte contre les atteintes aux droits de l'homme. En 2007, vous avez créé votre fondation, Batonga, pour donner aux jeunes filles africaines une éducation secondaire...

AK: Si la Kényane Wangari Maathaï a eu le prix Nobel de la paix, c'est qu'elle avait fait des études aux Etats-Unis, puis qu'elle était rentrée au pays et avait pu immédiatement agir grâce à son niveau d'éducation. Nous travaillons avec des ONG qui veillent au primaire. Nous voulons prendre en charge les adolescentes. Ma tournée avec Josh Groban m'a permis de récolter 43 000 dollars chez les grobanites.

VM: Les grobanites ?

AK: Oui, les fans de Groban, qui est une immense vedette aux Etats-Unis. Il y en a partout, en France aussi. Ils ont aussi une fondation, Grobanites for Africa. Josh Groban a enregistré avec des Sud-Africains, les Ladysmith Black Mambazo et le trompettiste Nous nous étions croisés à Oslo en 2002, lors du concert de la remise du prix Nobel de la paix à Hugh Masekela.Jimmy Carter. Il m'a appelée en 2007 pour que je l'accompagne dans sa tournée américaine.

VM: Faites-vous beaucoup de concerts géants et caritatifs ?

AK: Oui, c'est important. J'ai rencontré Ziggy Marley en 2005 à Addis-Abeba pour l'hommage à son père. Quincy Jones, c'était au concert organisé au Waldorf Astoria par les rencontres de Davos, qui s'étaient délocalisées à New York après les attentats du 11-Septembre. Alicia Keys au We Are The Future au Circus Maximus de Rome, devant 350 000 personnes. Branford Marsalis, lui, était à Paris à un concert des Touré Kunda dans les années 1990. Je trouvais tellement insensé qu'un Américain puisse aller écouter de la musique africaine...
VM: Vous avez aussi gagné en 2008 un trophée de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), toute-puissante organisation afro-américaine fondée en 1909. Est-ce une première ?

AK: Ah, oui, le jour de la remise des prix, retransmise sur Fox TV, ils étaient tous là, Aretha Franklin, Denzel Washington, Ruby Dee... J'ai chanté en languefon. C'était la première participation africaine à ces trophées.
VM: A Cotonou, votre maison est devenue une attraction touristique...

AK: Ça recommence ! Je n'ai pas de maison à Cotonou ! Quelqu'un a inventé qu'une horreur en béton qui trône au bord d'une route était la maison d'Angélique ! Maintenant, c'est devenu un point de repère : prendre la troisième à gauche après la maison d'Angélique, etc. Les taxis font le détour pour les touristes.Les Béninois ont envie que je construise au pays, où vit ma famille. Je le ferai, mais pas une maison, des studios pour les artistes, oui. Et pas en béton gris.

Angélique Kidjo en concert : festival les Nuits du Sud, à Vence, place du Grand-Jardin, le 25 juillet (tél. : 04-93-58-40-17), 18,50 €, sur Internet : www.nuitsdusud.com ; festival les Nuits de Fourvière, à Lyon, Grand Théâtre, le 29, avec Asa et Rokia Traoré (tél. : 04-72-32-00-00), 28 €, sur Internet : www.nuits-de-fourviere.org.



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