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20 août 2008

Peter Gabriel: le marieur des genres

Eric Mandel, La Presse, Collaboration spéciale, Le dimanche 10 août 2008

Figure emblématique du rock progressif avec Genesis, pionnier des musiques du monde et de la révolution internet, esthète pop et homme d'affaires éclairé, Peter Gabriel signe aujourd'hui son retour avec un nouveau projet baptisé Big Blue Ball. Un album coloré, fruit de sessions musicales fécondes organisées en 1991, 1993 et 1995 dans son célèbre studio Real World, en pleine campagne anglaise. La crème des artistes pop-rock (Sinead O'Connor, Billy Cobham, Joseph Arthur, Manu Katché) et de la scène World (Francis Bebey, Papa Wemba, Natasha Atlas...) était invitée à communier en musique.

Q Pourquoi avoir attendu si longtemps pour sortir ce projet ?

R Nous avions accumulé une quantité vertigineuse de travail. Je dois l’avouer, porter ce projet à son terme était assez intimidant. Il a fallu faire le tri, procéder à des choix difficiles. Ces sessions ont sans doute été l’expérience la plus amusante de ma vie de musicien. Mon studio était devenu une sorte d’agence matrimoniale pour musiciens du monde entier. Et nous avons célébré de beaux mariages. Quand j’entends Papa Wemba, la star de la rumba zaïroise, accompagné par Juan Canizares, un as de la guitare flamenco, je suis fier. Aujourd’hui, ce type de rencontre est commun, mais à l’époque, c’était plutôt radical. Iggy Pop et Joe Strummer étaient également venus pour assister à notre petite cuisine. Joe s’était installé au sous-sol, dans une tente, pour jammer avec des musiciens. Malheureusement il est parti avec les bandes. La musique est un langage universel, ce projet le prouve. D’où le titre de l’album. Vu de l’espace, la Terre n’est qu’une grosse boule bleue, sans la moindre frontière.

Q Vous organisez toujours des sessions de ce type ?

R Non, pour des raisons bassement financières. Si elles étaient riches d’un point de vue artistique, ces rencontres nous ont également coûté très cher. Nous avons perdu de l’argent chaque fois. Il fallait payer les voyages, payer les hôtels, payer les scéances d’enregistrement. Mais si ce nouvel album marche, peut-être pourrons-nous recommencer. Et puis nous avons diversifié nos activités. Comme je dispose d’un studio à la pointe de la technologie, je le loue pour le cinéma. Nous mixons d’ailleurs le son du prochain James Bond. Et comme j’adore le cinéma, cela ne me pose aucun problème. Enfant, je voulais devenir réalisateur, c’était mon rêve. Bon, maintenant il est un peu tard pour me lancer dans une nouvelle carrière, il me faudrait au moins 10 ans de travail pour apprendre ce métier.

Q Vous semblez concilier assez facilement vos activités d’artiste et d’entrepreneur…

R C’est un héritage familial ! Mon grand-père était joueur et un homme d’affaires doué. Mon père était ingénieur et inventeur; d’où mon intérêt pour les nouvelles technologies et la révolution internet. Pour moi, l’art et les affaires sont complémentaires. Youssou N’Dour possède à Dakar sa propre entreprise de cassettes audio. Regardez les rappeurs américains et leurs empires financiers! On ne peut opposer systématiquement art et affaires. L’art n’est pas une forme d’expression noble, pure et spirituelle. Et le business une activité vile et bassement commerciale. La vérité est plus complexe. Le but n’a jamais été de gagner de l’argent pour gagner toujours plus d’argent, mais pour préserver ma liberté d’artiste. Et cela passe par l’indépendance financière.

Q Vous avez également écrit un morceau pour la bande originale de Wall-E, le nouveau film d’animation de Pixar…

R Oui j’adore l’histoire de ce robot chargé de nettoyer la pollution humaine. J’ai trouvé le thème de ce conte écolo très intéressant. La science-fiction m’a toujours passionné. Mais pour être franc, je suis prêt à collaborer à tous les films Pixar, peu importe leur thème, leur esthétique… Je suis un fan absolu des films d’animation, et de Pixar en particulier.

Q Après le projet collectif Big Blue Ball, à quand un nouvel album solo ? Le précédent, Up, remonte déjà à 2002…

R J’ai déjà une soixantaine de chansons en boîte. Mais je ne suis pas pressé, il sortira quand il sera prêt. Et puis la musique n’est pas tout, dans la vie. Je viens d’être papa d’un petit garçon. Je veux passer du temps avec lui, le voir grandir.

Q Pure hypothèse de science-fiction : si la Chine vous avait invité à chanter pour l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, le militant des droits de l’homme que vous êtes aurait-il accepté ?

R Durant l’apartheid, je faisais partie des artistes favorables au boycottage de l’Afrique du Sud. D’autres artistes comme Youssou N’Dour ou Tracy Chapman y étaient opposés. Ils disaient : «Nous devons jouer en Afrique du Sud pour livrer notre message contre l’apartheid.» Aujourd’hui encore j’ignore qu’elle serait la bonne réponse. Une chose est certaine : un monde avec une Chine isolée est bien plus dangereux qu’un monde avec une Chine intégrée à la communauté internationale. Il faut dialoguer avec les Chinois, avec franchise. Et fermeté. Ce n’est pas toujours facile vu la puissance financière de la Chine. Et puis, du point de vue de la Chine, les pays occidentaux, anciennes puissances coloniales, ne sont pas toujours les mieux placés pour donner des leçons de démocratie. Mais je n’irais pas chanter pour les JO à Pékin.

Q Une reformation de Genesis est envisageable?

R Aucune porte n’est fermée, même si ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Entre reformer Genesis ou contribuer à la naissance du projet de Nelson Mandela pour les droits de l’homme (The Elders, NDLR), j’ai choisi la seconde option, celle tournée vers l’avenir. Et non celle du passé.

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