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24 juillet 2007

Des images qui denoncent

Des militants des droits de l'homme à l'école de la vidéo

Le Rwandais Amédée Kamota se trouve à Montréal pour apprendre les rudiments de la vidéo. Il retournera tourner des images sur la réalité de son pays. Venus des quatre coins du globe, trente militants des droits de l'homme sont à Montréal du 15 au 27 juillet pour apprendre les rudiments de la caméra et du montage vidéo. Le but? Retourner dans leur pays respectif et tourner des images illustrant les causes qu'ils défendent. Parce qu'il faut parfois le voir pour le croire.

Photo: Jacques Nadeau


Amédée Kamota, un avocat militant au sein d'une organisation de défense des droits des autochtones, n'avait jamais touché à une caméra dans son Rwanda natal. Pourtant, s'il avait pu, il en aurait tourné, des films d'horreur... À commencer par les conditions de vie difficiles des Batwas, ces Pygmées chasseurs-cueilleurs confinés aux derniers lambeaux de la forêt rwandaise. Dépossédés de leurs terres, ils vivent désormais sur des territoires proclamés réserves nationales, dans des maisons faites d'herbes et de brindilles séchées. «On a fait plusieurs enquêtes et écrit des rapports pour essayer de sensibiliser le gouvernement à la discrimination dont ils sont victimes. Ce qui manque, ce sont des images pour la montrer», souligne M. Kamota, chargé du programme des droits de l'homme de la Communauté des autochtones rwandais (CAURWA).

Sélectionné par Witness, un organisme de défense des droits de la personne fondé par le musicien Peter Gabriel, le militant diplômé de la faculté de droit de l'Université de Kigali n'a pas hésité une seconde à participer à ce stage, qui prendra fin vendredi. Dernier né des projets de ce petit organisme basé à New York, le Video Advocacy Institute (VAI) dispense aux différents participants une formation accélérée sur l'utilisation de la vidéo comme moyen de protection des droits de la personne et de changement social.

En plus des ateliers vidéo donnés à une dizaine d'ONG de partout dans le monde, dans le cadre d'un projet triennal, près de 800 personnes reçoivent chaque année des formations d'un jour offertes par Witness. D'une durée de deux semaines, le programme du VAI se situe entre les deux. «On n'a par contre très peu de candidatures du Moyen-Orient, l'une des régions du monde où c'est sans doute le plus difficile de filmer», constate Jenni Wolfson, la directrice adjointe de Witness. En raison du nombre limité des places, une sélection s'imposait. «On essaie de privilégier les organismes qui ont moins de visibilité et qui travaillent sur des sujets dont on entend peu parler», explique Mme Wolfson. Les organismes admissibles doivent être bien organisés et avoir présenté un plan d'action qui démontre l'utilité et la nécessité de l'intégration de la vidéo. «On se demande toujours: "Est-ce que la vidéo va faire une différence, est-ce qu'elle aura un impact?"» Ces organisations doivent aussi être en mesure de démontrer qu'elles pourront se procurer une caméra et réellement s'en servir.

Pour rassembler tout ce beau monde, l'université Concordia à Montréal semblait toute désignée. «La plupart des participants quittaient leur pays pour la première fois. On a pensé qu'ils se sentiraient à l'aise dans une ville comme Montréal, multiculturelle et ouverte sur le monde», soutient Mme Wolfson. Il y a aussi le fait que, aux yeux des organisateurs, l'obtention d'un visa canadien semblait, d'emblée, beaucoup plus facile. N'empêche, un Nigérien et un Gambien se sont vu refuser le droit d'entrée au pays.

Filmer à tout prix

C'est ainsi que, par exemple, Numa Ngubane, l'une des rares à défendre les droits des lesbiennes, des gais, des bisexuels, des transgenres et des intersexués sur le continent noir, est venue de l'Afrique du Sud pour suivre les ateliers de formation vidéo. Et que Hseng Noung, un militant du Myanmar, est venu s'outiller pour dénoncer le régime birman qui recourt au viol comme arme de guerre.

Mathieu Pellerin n'avait pas imaginé revenir dans son Québec natal pour suivre une formation en vidéo à titre de représentant d'un organisme de défense des droits de l'homme cambodgien. Il y a quatre ans, lors d'un voyage effectué au terme de ses études en musique à l'université Laval, il s'était finalement retrouvé dans ce pays pauvre d'Asie. La vulnérabilité des Cambodgiens à l'égard du pouvoir de l'État l'avait alors touché. «Il y a un gros problème de terres. L'État vole les terres des pauvres gens sans négocier, en toute impunité. Les militaires sont appelés à venir évacuer les gens à la pointe du fusil. Ils tirent sur les villageois pour les chasser [...]. C'est un véritable fléau», dit celui qui travaille pour la Ligue cambodgienne pour la promotion et la défense des droits de la personne (Licadho).

«Ces événements-là arrivent quand les militants des droits de la personne sont absents. D'où l'importance de donner des caméras aux communautés. C'est un outil de défense supplémentaire», croit-il.

C'est ainsi que, dans le cadre d'un projet-pilote qu'il dirige en collaboration avec Witness, des caméras seront distribuées aux Cambodgiens pour les aider dans leur lutte. Mathieu Pellerin souhaite ainsi sensibiliser la communauté internationale, mais surtout les pays bailleurs de fonds qui donnent sans faire de suivi. «Le Cambodge a reçu 700 millions de dollars cette année. C'est le pays d'Asie qui a le plus reçu d'aide. Mais l'argent ne se rend pas sur le terrain», déplore-t-il. Par des images qu'il compte montrer aux pays donateurs, il entend prouver que le Cambodge est loin d'avoir réglé tous ses problèmes. Publiés d'abord dans le site de son organisme, les petits films ainsi tournés pourraient bien se retrouver dans des sites comme YouTube ou Dailymotion. «Comme il y a beaucoup d'analphabètes, on a déjà commencé à faire nos rapports en version audio. On est rendu là», lance le jeune homme âgé de 26 ans.

À l'automne 2007, Witness compte lancer un site Internet où citoyens engagés, journalistes, chercheurs et défenseurs de partout dans le monde pourront mettre des vidéos qu'ils auront tournées à partir d'un appareil portatif, comme un cellulaire, ou d'un ordinateur personnel. The Hub deviendra ainsi un espace en ligne de dénonciation et de sensibilisation aux violations des droits de l'homme.

Amédée Kamota voit tout aussi grand. «On veut sensibiliser pour que, sous la pression, le gouvernement n'ait d'autre choix que d'agir, souligne-t-il. On veut aller chercher des alliés et montrer la cassette à certains comités de défense des droits. Encore plus que de les sensibiliser, on veut faire quelque chose de grand tous ensemble.»

Lorsqu'on l'interroge sur les dangers potentiels, l'avocat rwandais esquisse un sourire en coin. Le sourire du militant combattant qui n'en est pas à sa première intimidation. «C'est certain qu'on craint. Les autorités vont réagir à nos images, c'est sûr, dit-il. «Il paraît que, dans mon pays, toute vérité n'est pas bonne à dire.»

Bien que conscient des risques encourus par la personne qui tiendra la caméra, Mathieu Pellerin continue de croire «au pouvoir des images». Très actifs dans leur lutte, des habitants des communautés cambodgiennes lésées avaient, de leur propre chef, déjà commencé à se munir d'appareils jetables pour pouvoir photographier les dirigeants qui commettaient des exactions. «La première fois que je suis allé les rencontrer pour leur expliquer notre projet de les équiper en caméras vidéo, ils m'ont regardé et m'ont dit: "Enfin!". Je pense bien qu'ils sont prêts», conclut-il.

Lisa-Marie Gervais /Le Devoir

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